En mai et juin derniers, le journal La Presse publiait les échanges numériques entre la chanteuse, comédienne et autrice Louise Forestier, 79 ans, et le Dr Réjean Hébert, gériatre connu pour son dévouement à la cause du bien-être des personnes âgées. Cette conversation, initiée par la chanteuse, a servi de point de départ à la rencontre actuelle. Et aux questionnements et réflexions sur la vieillesse se sont greffés souvenirs et désirs.

Au printemps 2021, Louise Forestier écoute à la radio une intervention du Dr Réjean Hébert, lorsqu’un déclic se produit. Le gériatre y parle notamment du travail qu’il a accompli, et de sa désolation devant le système étatique actuelle de gestion de la vieillesse. En l’entendant, la chanteuse se sent interpellée, mais détecte surtout en lui un allié naturel potentiel, qui pourrait l’éclairer et peut-être la guider dans les méandres de ses réflexions sur « les vieux » et le sort qu’on leur réserve. Elle le contacte; il la rappelle aussitôt.

Avant même de savoir quelle forme prendra cette collaboration, la comédienne confie à une amie : « Ce que j’aimerais, c’est écrire ce que je ressens en tant que femme de 79 ans. Comment je vis ça, moi, et toutes les questions que je me pose. Mais pas en tant que vedette, juste en tant que femme ».

Remettre l’entraide au goût du jour

L’interprète de La saisie a été marquée par la vision de sa grand-mère, à laquelle elle rendait visite, enfant, dans l’« asile de vieux » où elle se trouvait. « C’étaient des religieuses qui s’en occupaient. Il y avait donc une organisation incroyable. Les gens ne manquaient pas de soins, mais ils étaient isolés. Ce n’est pas normal que les vieux soient mis à part, parce que ça veut dire que tu n’es plus utile à la société. »

Laurence Labat

Le Dr Réjean Hébert travaille depuis 35 ans à tenter d’améliorer et de développer les services à domicile pour les aînés. Lorsqu’il avoue à l’autrice, au cours de leurs échanges, qu’il doute que notre approche des soins aux personnes âgées connaisse des changements majeurs à court terme, elle puise dans cette réponse un élan pour s’impliquer, à sa façon. « Je me suis mis des limites. Je ne veux pas devenir une spécialiste du vieil âge : je ne suis pas ça. C’est pour ça que je parle à l’échelle humaine. La chanteuse invite les gens à sortir de leur petit cocon et à raviver la notion d’entraide, en commençant simplement par se soucier des personnes âgées qui sont proches d’eux.

« Mon idée? Commençons par notre famille, notre entourage, nos amis, l’immeuble dans lequel on vit, l’immeuble d’à côté et les voisins de ruelle. Il faut se dire : “là, on a deux vieux qui restent dans cette petite maison-là, là, on en a quatre, etc.” C’est pour réveiller les gens en leur disant : “écoutez, prenez conscience des vieux qui vous entourent, et aidons-nous les uns les autres.” ».

Une révolution?

Dans un des courriels au Dr Hébert, Mme Forestier évoque l’effervescence des années 60 et les batailles qui ont été menées à certaines époques par sa génération : la Révolution tranquille, les manifestations contre le racisme, la guerre du Viêtnam, etc. Si elle n’a pas, à l’époque, nécessairement porté ces causes à bout de bras – « J’avais un métier très exigeant. » –, elle reconnaît toutefois que la force du nombre a sans doute contribué à faire évoluer la société. Et elle aimerait que cette génération se lève de nouveau pour réclamer ce qu’elle souhaite pour elle-même. « Une révolution, oui, mais pas [nécessairement] avec des marches. De toute façon, il y en a beaucoup qui ont de la misère [avec la mobilité]. Mais certains disent, “je vais y aller en marchette”, ou “je vais emporter ma chaise, et quand je serai fatigué, je m’assoirai”. Pourquoi pas? »

La passation des savoirs

En tant qu’artiste accomplie, Louise Forestier a eu beaucoup d’occasions au cours de sa carrière de partager son savoir et son expérience avec de nombreux jeunes du métier. Elle évoque la préparation à des concours et les trucs d’écriture et d’interprétation. Elle souligne son implication dans le Festival en chanson de Petite-Vallée, pendant 12 ans, ainsi qu’à Granby et avec Ma première Place des Arts, à Montréal.

Mais au-delà des trucs du métier, la chanteuse est particulièrement fière d’avoir légué une façon d’être : « Ce que j’ai transmis, toute ma vie, ce n’est pas vraiment un bagage artistique : c’est une façon de vivre. Une école de vie. “N’attends jamais après personne pour régler tes affaires.” C’est l’autonomie. J’allais chercher ce que je voulais. Je n’attendais pas qu’on m’offre quelque chose. Oui, on m’a offert des rôles au cinéma et tout ça, mais la plupart des choses que j’ai faites, c’est moi qui les ai initiées. Si j’étais restée assise sur ma réputation ou je ne sais quoi, il ne serait pas arrivé grand-chose. »

Aujourd’hui, l’artiste reconnaît que le métier qu’elle a exercé pendant des décennies « n’est plus du tout ce qu’il était », une preuve qu’elle ne s’intéresse pas qu’au sort des aînés. « La pandémie, ç’a été l’horreur totale pour les jeunes qui avaient quatre ou cinq ans de métier, et pour qui ça commençait juste à avoir de l’allure. Ç’a été épouvantable. À la radio, on m’a demandé à un moment donné : “si vous étiez ministre de la Culture, quel est le premier geste que vous feriez?” J’ai dit que tous les artistes, quel que soit leur âge, [devraient avoir] un filet social. C’est-à-dire l’équivalent des intermittents en France, une sorte d’assurance-emploi. Entre deux jobs, entre deux expos, on n’a rien pour gagner notre vie. »

Une Montréalaise d’exception

Le 30 août dernier, Louise Forestier était nommée citoyenne d’honneur de la ville de Montréal. En tant qu’artiste, elle a participé à des dizaines de projets et d’événements culturels qui ont contribué à l’effervescence de la métropole. Comme citoyenne, elle l’habite depuis l’âge de sept ans. D’où son plaisir de recevoir cette accolade.

« Montréal, c’est ma ville. J’ai habité dans plusieurs quartiers, c’est une ville que j’aime. Je dis toujours que Montréal est une ville bâtarde, mais les bâtards ont toujours été les enfants de l’amour. Les rois avaient des bâtards parce qu’ils tombaient amoureux d’une dame de compagnie ou d’une femme d’en dehors de leur milieu. La ville de Montréal est bâtarde, elle est toute croche. Mais elle est multiethnique, elle sent bon, elle goûte bon, et c’est une ville très artistique. »

Sans chalet ni voiture, la chanteuse croit être allée deux jours à la campagne depuis trois ans. « Je vis beaucoup ici, alors c’est pour ça que ma ruelle verte est importante. Mes bouleaux dans le jardin, c’est ma campagne. »

Un projet mystère

Pour permettre à son cerveau de demeurer alerte – et pour le plaisir! – l’autrice s’est remise à l’écriture il y a quelque temps. Et ces séances d’entraînement intellectuel, qui ont été florissantes, devraient éventuellement se transformer en œuvre artistique, même si la forme finale qu’elle prendra n’est pas tout à fait connue. « Je ne sais pas si on va appeler ça un album, mais il va se passer quelque chose. On est en train de travailler là-dessus. Les textes sont faits, la base est là, mais comment on va traiter tout ça, on est en laboratoire. »

Son mot de la fin

Invitée à conclure cet entretien avec ses mots, la chanteuse s’exprime haut et fort, avec le même dynamisme qui a teinté l’heure qui vient de passer 

« J’ai toute la vie devant moi, et j’ai 79 ans! »

Louise Forestier tient présentement une chronique à l’émission de Monique Giroux Chants libres à Monique, diffusée sur ICI Musique les dimanches à 16 h. Elle y offre ses réflexions à partir de titres de chansons.