Les dernières années ont vu les régions du Québec accueillir de plus en plus en plus de citadins, de façon temporaire et cyclique pour les acquéreurs de chalets, mais permanente pour d’autres, qui ont choisi de troquer la densité et la rapidité de la ville contre la vie au rythme de la nature. Yvon Laprade, journaliste aguerri et auteur comptant 45 années de métier, s’est intéressé au phénomène dans son dernier ouvrage : La grande évasion – Histoires de citadins qui ont fait le choix des régions.

Un portrait et un guide

Passé lui-même de « Montréalais pure laine » à Caxtonien en 2019, Yvon Laprade a ressenti, les années suivantes, « comme un petit mouvement » démographique de la ville vers les régions, qui s’est peu à peu transformé en réel sujet d’actualité, tant à propos du déficit migratoire de Montréal qui ne cesse d’augmenter qu’à celui des défis auxquels les régions d’accueil font face, notamment en matière de main-d’œuvre, de logement et de services divers.

Riche de son propre vécu de transplanté, le journaliste a réalisé une vingtaine d’entrevues avec « des gens ordinaires, de différents domaines, dans différentes régions », mais aussi avec des maires, des courtiers immobiliers, etc. : « Dans le fond, ce que je voulais faire, c’était un genre de grand reportage sur la réalité des régions. Je voulais vraiment que les gens témoignent de leurs expériences. »

Fruit de ce travail, La grande évasion prend à la fois des airs de portrait d’une situation et de guide pour ceux qui seraient tentés de faire le grand saut. Et avec la multitude de sujets abordés dans l’ouvrage, celui-ci ne manque pas de susciter de nombreuses réflexions.

Des avantages à vivre en région

De ses entretiens et de son expérience, l’auteur retient certains avantages à vivre en région, outre l’aspect évident du rapprochement avec la nature.

L’entraide

« Si on s’implique dans la vie communautaire », explique le journaliste, « si on est dans le village, si on aime les gens, finalement, on va se créer rapidement un réseau d’entraide, un réseau intéressant d’amis. Il y a une relation qui s’établit assez facilement. »

L’ouverture

En matière de développement et de travail, il semble qu’un terrain plus vierge soit plus propice à accueillir de nouvelles façons de penser : « Si on a le goût de se réaliser, des idées intéressantes, des projets, on va souvent se faire dire : “C’est le fun, parce que tu as des idées nouvelles et on est prêt à ça.” » Ce que confirme Marie-Charles, une ex-Montréalaise désormais résidente du comté de Portneuf : « Tout est à faire, le potentiel est là, constate-t-elle. On sent moins la concurrence. Ici, il y a une communauté d’entrepreneurs qui partent des trucs, qui se bâtissent un réseau. […] On a du temps, et l’énergie est palpable[1]. »

Les occasions professionnelles

Parce que les régions souffrent également de la pénurie de main-d’œuvre et qu’elles doivent compter sur une population moindre, les possibilités d’y travailler sont très élevées. Yvon Laprade raconte notamment l’anecdote d’un entrepreneur en construction de sa connaissance qui, une fois déménagé dans son coin, s’est vu rapidement offrir… pas moins de cinq emplois.

Le rythme de la vie

Le fait qu’il y ait moins de gens en région se reflète également sur le rythme de vie des habitants, moins effréné, ce qui tend à diminuer le stress : « Les gens prennent le temps de vous parler. On se surprend, au début, à avoir autant de temps avec quelqu’un à la caisse enregistreuse [d’un commerce]. »

Le marché immobilier

La différence de prix entre les propriétés à Montréal et celles qui se trouvent en région augmente la capacité d’acheteurs potentiels à acquérir une demeure.

Des ajustements et des compromis

Pour Yvon Laprade, il faut surtout être conscient qu’« on ne va pas vivre à la campagne pour retrouver la même réalité qu’un quartier montréalais. » Alors, oui, ceux qui troquent les lumières de la ville pour les cieux étoilés doivent faire preuve de flexibilité pour s’adapter à leur nouvelle vie.

Apprendre à prévoir

En région, les distances entre les désirs ou les besoins et leur satisfaction sont souvent plus importantes qu’en ville, ce qui demande une meilleure organisation. Ça peut se refléter dans des épiceries plus volumineuses ou encore, dans l’achat d’une génératrice, par exemple.

Des services technologiques inégaux

Même si le Québec fait des efforts pour fournir à tous un accès à Internet haute vitesse, certains habitants des régions vivent des enjeux de ce côté. Déménagée en 2017 à Georgeville en Estrie avec son conjoint, Alexandra Truchot raconte qu’à leur arrivée, sans Internet, elle devait sortir sur la route pour faire ses appels téléphoniques. Ils ont patienté neuf mois pour obtenir leur connexion : « Je vous assure qu’on a passé beaucoup de temps dans les cafés, au centre-ville de Magog, pour y brancher nos outils de travail[2]. »

Une cohabitation délicate

Sans généralisation aucune, l’auteur évoque l’attitude parfois hostile d’individus qui voient d’un mauvais œil l’arrivée « d’étranges » de la ville dans « leur » région. Mais se peut-il que, par moments, celle-ci soit alimentée par les plaintes de nouveaux arrivants à propos de l’odeur de fumier, du bruit des scies mécaniques ou encore, des tracteurs qui ralentissent la circulation?

Cette dernière question rappelle à Yvon Laprade à quel point il est important de bien se préparer et d’être prêt à faire des concessions si l’on songe à changer de milieu de vie. Elle l’amène également à aborder le phénomène de la location à court terme, qui compromet la création d’un tissu social solide : « Les locaux apprécient un peu moins ceux qui vont [chez eux] seulement pour investir. »

Car à l’instar des citadins qui les choisissent, les régions font face à de nombreux défis. Et elles aimeraient pouvoir compter sur leurs nouveaux citoyens pour mettre la main à la pâte et participer à leur développement et à leur épanouissement.

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Vous pouvez lire les articles d’Yvon Laprade dans plusieurs quotidiens québécois, dont Le Nouvelliste, Le Soleil et La Presse.


[1] Laprade, Yvon (2023). La grande évasion – Histoires de citadins qui ont fait le choix des régions. Anjou : Les Éditions La Presse, p. 51.

[2] Laprade, Yvon (2023). La grande évasion – Histoires de citadins qui ont fait le choix des régions. Anjou : Les Éditions La Presse, p. 43.