Dans les dernières années, France Castel a parlé brièvement, au cours de deux entrevues*, de son engagement à continuer à travailler pour représenter les gens de son âge – surtout les femmes – à la télé. L’artiste poursuit ici sa réflexion sur le sujet tout en abordant quelques autres aspects de sa brillante carrière.

« J’ai toujours été un petit peu militante. Par exemple, avec la Marche des femmes, ou que ce soit pour différentes formes d’implications sociales. »

Une mission de représentation

« J’ai toujours été concernée par la représentation de l’humanité entière, incluant tous les âges et tous les genres », avoue d’emblée la comédienne à l’évocation de sa prise de position pour réclamer une meilleure représentation des aînés dans le paysage médiatique québécois. « J’ai toujours été un petit peu militante. Par exemple, avec la Marche des femmes (Du pain et des roses en 1995), ou que ce soit pour différentes formes d’implications sociales. »

France Castel est consciente de l’image de femme dynamique qu’elle projette, notamment parce qu’on lui rappelle régulièrement : « On m’arrête souvent dans la rue pour me dire “Mon Dieu, vous nous encouragez, ça nous fait du bien de voir qu’on peut être allumées, pertinentes et encore actives”. » Alors, aujourd’hui, à près de 78 ans, elle ressent le besoin d’être présente au petit écran pour représenter son groupe d’âge – qu’elle juge négligé –, mais aussi pour interpeller les créateurs et décideurs du milieu face au manque de diversité dans la représentation des personnes âgées, surtout des femmes âgées.

« Oui, il y a quelques actrices qui continuent d’être présentes, mais de moins en moins. C’est normal aussi, c’est l’évolution, concède la comédienne. Mais ce qui n’est pas normal, c’est qu’on ne soit pas représentées [de façons diverses]. J’en connais plein de personnes de 70, 75, 80 ans. J’ai une amie qui a un chum de 91 ans, ils viennent de se rencontrer il y a deux ans, et ils sont incroyables! Il faut aussi montrer les différents portraits des personnes vieillissantes. »

Attention cependant de ne pas interpréter cette demande comme une invitation à ghettoïser davantage les aînés en leur fabriquant des émissions sur mesure : « Sans faire des émissions pour vieux, là, ce n’est pas nécessaire. Moi j’ai des enfants, des petits-enfants, on peut être inclus dans l’intergénérationnel. »

Pour France Castel, c’est un peu comme si, à la télé québécoise, l’image de « la mamie avec ses petits cheveux blancs, ses lunettes, qui tricote et qui est rassurante » n’avait pas évolué au même rythme que le portrait réel du vieillissement dans la population. « J’ai l’impression que ceux qui sont en poste, peut-être qu’ils ne veulent pas regarder comment vieillir. »

Pas antijeunesse

La chanteuse tient également à préciser que son plaidoyer pour une meilleure représentation des personnes âgées ne constitue absolument pas un rejet de la jeunesse : « Je suis loin d’être contre la jeunesse, au contraire. Je suis vraiment pour tout ce qui est jeune et mixte. »

Et elle en profite pour mentionner le projet d’une jeune cinéaste qu’elle a récemment aidée dans son processus de demande de financement. Sans vendre la mèche, disons qu’il met en scène des aînés qui héritent de personnages véritablement hors du commun. Et l’artiste est plus qu’enthousiaste face à cette création : « [Ça montre] quelque chose de différent, pour que les jeunes puissent voir différentes façons de vieillir. Je trouve ça extraordinaire. »

Ni dans le déni

La comédienne n’a rien non plus contre les images qui montrent la dure réalité de certaines personnes âgées : « [Les images] qu’on nous montre, elles existent aussi, malheureusement. Il y en a des personnes qui vieillissent et qui sont au bout de leur vie, qui ne sont pas dans de bonnes situations, qui ne sont pas en santé. D’accord. Ce n’est pas ça qu’il ne faut pas regarder et protéger. Mais il faut présenter, si possible, les différentes façons de vieillir, pour que tout le monde puisse s’identifier à quelque chose. »

« On m’arrête souvent dans la rue pour me dire “Mon Dieu, vous nous encouragez, ça nous fait du bien de voir qu’on peut être allumées, pertinentes et encore actives”. »

D’autres engagements

En plus de son engagement à demeurer active professionnellement, France Castel a accepté cette année d’être porte-parole de l’Association québécoise de défense des droits des personnes retraitées et préretraitées (AQDR). Elle participe donc à une campagne visant à sensibiliser les gens âgés et à les informer : « C’est pour leur dire “Voilà, ce n’est pas parce que tu es un aîné que tu n’as pas de droits à défendre, que tu n’as pas le droit de t’épanouir complètement”. C’est important de continuer de s’épanouir dans notre espèce de société soi-disant juste, équitable, et sécuritaire. »

À surveiller également, une campagne pour la recherche sur le cancer – en collaboration avec le CHUM et Uniprix –, qui réunit la comédienne et son amie France Beaudoin, pour former un duo bigénérationnel pertinent et percutant.

Et les femmes?

Au-delà de la question de la représentation des aînés, il y a aussi celles de la représentation des femmes et de la richesse des rôles qui leur sont proposés. Quels souvenirs France Castel garde-t-elle de certains rôles qu’elle a pu jouer, et des façons dont, justement, la femme était représentée dans certains de ses projets au cours de sa carrière?

Crédit photo: Tu te souviendras de moi », Les Films Opale 

La série humoristique Du tac au tac, par exemple, dans laquelle elle a incarné une agente d’artiste en 1976, est reconnue aujourd’hui pour contenir son lot de répliques de « mononc » et de situations où sexisme et condescendance se côtoyaient joyeusement. À l’époque, la comédienne était-elle consciente du degré de machisme qui enrobait les scénarios ou si les mœurs du temps justifiaient totalement ce type d’humour, sans que personne ne le remette en question?

« Il y avait des deux, explique-t-elle. Mais on mettait ça sur le dos des personnages. On disait “elle est donc niaiseuse de répondre ça, et l’autre, il est donc colon de faire ça.” Mais on faisait quand même un chemin à travers ces choses-là. Quand on joue, on n’est pas là pour juger les personnages, on est là pour les incarner. »

Mais la question lui rappelle une histoire à propos de Mae West, une actrice américaine du début du XXe siècle reconnue pour l’indépendance dont elle a fait preuve dans son métier. Mae West, à qui on avait offert un rôle dans un film, l’avait refusé pour convoiter plutôt le rôle de Paul, le personnage masculin du film. Alors qu’on lui objectait qu’il s’agissait d’un homme, elle aurait répondu (traduction libre) : « Alors, je m’appellerai Paula. Et surtout, ne changez rien. »

« Elle a donc fait sa carrière en faisant une sorte de pied de nez aux emplois de “nunuches” qu’on donnait aux femmes, et elle s’est mise dans la position de cette espèce de femme “macho”, ce qui a quand même fait avancer les choses. »

Et cette histoire, France Castel se prend parfois à rêver de la répéter : « Même les films de Forcier**, je regardais le rôle principal joué par un homme, et je me disais que ça pourrait complètement être joué par une femme, sans rien changer. Juste le nom! (Elle rit de bon cœur.) Comme s’il fallait des situations pour les hommes et d’autres pour les femmes. Oui, il y en a, mais pas toujours. »

France Castel at the Gala Quebec Cinema in Montreal on June 3, 2018. THE CANADIAN PRESS IMAGES/Denis Beaumont

Un projet au conditionnel

Alors que son métier de comédienne l’occupe en ce moment de façon sporadique, France Castel, la chanteuse, travaille depuis plusieurs mois à un projet qui lui tient particulièrement à cœur.

Pour celle qui avouait, il y a quelques années, n’avoir jamais eu de plan de carrière et avoir obéi et s’être ajustée toute sa vie***, ce projet est des plus enthousiasmants, même si elle en parle au conditionnel : « Depuis 8 ou 9 mois, je suis en train de faire des démos avec des chansons, et après 35 ans, ce serait comme la première fois que je choisis les chansons, que je choisis ce que je chante, ce que je dis. Et de là, possiblement un spectacle, que je ferais d’abord virtuel. J’appellerais ça Je tire la plogue. Ça veut dire qu’après : “Goodbye!”. Mais je le mets au conditionnel parce que je me réserve toujours le droit de dire “non, je n’aime pas ça, ce n’est plus ça”. Mais au moins, c’est quelque chose que j’aurai moi-même installé. »

Renouveau printanier

Désormais établie à la campagne, France Castel voit arriver le printemps avec joie, alors que cette saison, pour elle, « est toujours reliée à la force de la vie, à l’éternel recommencement des choses, à l’espoir ».

Cette année, cependant, cette joie est quelque peu assombrie par la réalité de la guerre en Ukraine, mais l’artiste tente de concilier ses sentiments opposés : « On est chanceux de pouvoir se rendre compte qu’il y a un printemps. Il y a des gens qui s’en foutent du printemps. Tout ce qu’ils veulent, c’est survivre. Alors, si on a la chance de pouvoir être témoin de ce renouveau après l’hiver, je pense qu’il faut l’apprécier et le souhaiter pour le plus de monde possible. Malgré tout, ça vaut la peine de se dire, “regarde, la vie est plus forte qu’on pense, et il y aura un autre cycle, peut-être pour tout le monde.” Alors, essayons de s’accrocher à ça! »

* L’une donnée à Patrice Bélanger dans le cadre de l’émission Sucré Salé à TVA le 6 juillet 2021, et l’autre à Jean-François Vandeuren, rapportée dans l’article Représentation des aînés à l’écran : France Castel persiste et signe, publié le 5 septembre 2021 sur showbizz.net.

** Le réalisateur André Forcier, pour lequel la comédienne a joué plusieurs rôles, notamment dans Une histoire inventée, Le vent du Wyoming, La comtesse de Bâton rouge et Les fleurs oubliées.

*** Entrevue intégrée à la biographie de France Castel dans la section Personnalités du site Web ici.radio-canada.ca.