Parfois, il y a des événements qui changent des vies et, dans le cas de Bruny Surin, c’est une course qui a tout changé.


Une course? Oui, une course, en apparence toute simple, comme on peut en voir des dizaines par année si on s’abreuve aux chaînes sportives : quatre hommes, la jeunesse pimpante, le regard de feu, qui filent à vive allure sur la piste d’athlétisme d’un stade bondé, en se refilant un petit bâton de main en main.

Bruny Surin n’a rien oublié de cette course. Peut-être parce que quelques jours avant, il avait vécu une énorme déception, celle de rater sa qualification pour la grande finale du 100 mètres, une épreuve où il allait certes compter parmi les favoris. En lieu et place, il tenterait de se reprendre dans une autre course, celle qui changerait sa vie, le temps de quelques instants.

Cette course, le relais 4 x 100 mètres des Jeux d’Atlanta, allait avoir lieu le 3 août 1996, et elle permettrait de consacrer les quatre coureurs en question : Bruny Surin, Robert Esmie, Glenroy Gilbert et Donovan Bailey, tous membres du quatuor canadien. Ils pousseront l’audace jusqu’à humilier les grands favoris américains sur leur propre terrain de jeu. Pour une très rare fois dans l’histoire moderne des Jeux, un quatuor américain n’allait pas remporter cette épreuve. L’or allait plutôt être récolté par quatre Canadiens, une première dans l’histoire moderne des Jeux olympiques.

Une médaille sur la route du succès

D’Atlanta, Surin est revenu avec une médaille… mais ce n’est pas tout. Il est aussi revenu avec une suite. Un futur. Une porte ouverte sur un autre pan de sa vie, qui allait s’annoncer reluisant.

« Des Jeux olympiques, c’est quelque chose qui vous suit toute une vie, commence-t-il par dire. J’ai encore mes gilets des Jeux d’Atlanta, mon dossard, et évidemment ma médaille, qui est dans un coffret de sûreté. C’est drôle, parce que des voleurs ont cambriolé ma maison il y a quelques années, et ils ont pris tous les bijoux… mais pas ma médaille! Alors au moins, j’ai eu affaire à des voleurs gentils! »

On reconnaîtra à ces « voleurs gentils » un certain sens de l’observation, en effet, mais ce n’est guère étonnant. Depuis Atlanta, depuis ces Jeux autant marquants que spectaculaires présentés il y a déjà 25 ans, Bruny Surin est associé à la chose olympique pour la vie, comme Sylvie Bernier, Annie Pelletier ou Gaëtan Boucher l’ont été avant lui.

D’Atlanta, Surin est revenu avec une médaille… mais ce n’est pas tout. Il est aussi revenu avec une suite. Un futur.

À ce jour, et à l’âge de 54 ans, l’ancien sprinter se revoit sur la ligne de départ chaque fois qu’il regarde de près ou de loin une compétition olympique. On n’échappe pas à son propre passé, et Bruny Surin n’y échappe certes pas, bien qu’il avoue ne pas jalouser ceux qui se sont préparés dans l’espoir de participer aux Jeux de Tokyo, prévus pour 2020 puis reportés en 2021.

L’athlète, posant fièrement, avec médaille et relais

« Chaque fois qu’il y a des Jeux olympiques, ça me permet de brasser des vieux souvenirs, répond-il. En même temps, et j’en parlais récemment avec un ami olympien, je n’aurais pas aimé être à Atlanta avec les conditions prévues pour les Jeux de Tokyo, sans aucun spectateur dans les gradins. Pour un athlète olympique, il y a déjà de l’adversité en partant… alors ça s’ajoute au travail qui doit être fait. »
Sous-titre Le secret de la motivation

« Il faut comprendre une chose : quand on pratique un sport d’élite comme ça, l’entourage, c’est énorme. L’appui des parents et des amis qui viennent sur place pour te voir, ça fait une différence. Il y a un travail de visualisation qui est fait par les athlètes; tu dois te motiver et te surpasser. Mais cette fois, la foule qui crie, qui encourage, si ce n’est pas possible, c’est certain que ça peut ajouter au défi qui est déjà très grand. »

Mais Bruny Surin ne boude pas son plaisir pour autant, et c’est avec cet enthousiasme habituel qui est le sien qu’il a accepté de se transformer en analyste pour Radio-Canada lors des compétitions olympiques.

Un relais de carrières

Ce n’est d’ailleurs pas la seule transformation qu’il ait négociée au fil du temps.
Depuis son exploit à Atlanta, l’homme a tour à tour porté différents chapeaux, de celui d’entrepreneur à celui de conférencier, de celui d’homme d’affaires à celui de motivateur. Autant de chapeaux qui lui font très bien.

« Quand je repense à Atlanta et à 1996, j’ai le souvenir de toute l’adversité à laquelle j’ai eu à faire face, ajoute-t-il. Mais ce que je retiens surtout, c’est la reconnaissance. Ces Jeux m’ont mené à une autre carrière, et cette médaille m’a mené à devenir conférencier presque toutes les semaines, à parler à des employés de compagnies qui m’engagent, souvent pour des conférences sur la motivation et l’innovation.
Tout ça me tient très occupé, avec des journées très bien remplies! Mais j’aime ce que je fais. Les Jeux de 1996 ont marqué ma vie, et ça me fascine quand les gens me disent qu’ils se rappellent où ils étaient au moment où je gagnais le relais avec mes collègues à Atlanta. »

Encore couru, même aujourd’hui

Les gens qui marquent l’imaginaire exercent souvent la même fascination : on les garde jeunes dans nos cœurs, on les imagine avec cette fougue de la jeune vingtaine, même après 20, 30 ou 40 ans. C’est exactement ce qui arrive à Bruny Surin quand il est appelé, encore à ce jour, à participer à des compétitions amicales pour des raisons philanthropiques.

« On s’imagine parfois que je suis encore le gars qui peut courir le 100 mètres en moins de 10 secondes! » s’exclame-t-il en éclatant de rire. « Les gens pensent que j’ai la même rapidité, même à mon âge. Ça, c’est quelque chose qui vous suit toute une vie. C’est comme si les gens étaient marqués par ça. »

À cet effet, Surin se souvient très bien d’une fois où il a eu à participer à une séance de spinning pour une œuvre de charité, avec des gens qui avaient misé un montant d’argent pour obtenir le privilège d’aller suer en sa compagnie.
Le prix, c’était de pouvoir pédaler aux côtés de Bruny Surin, mais pour certains participants, le prix, c’était plutôt d’avoir la possibilité de réussir à pédaler plus vite que lui!

« Alors moi, je me présente là et je veux juste y aller bien relax, relate l’ancien champion. Sauf que chaque vélo était identifié par un numéro, de sorte qu’on pouvait voir où on se situait sur un écran. Au bout de quelques minutes, il y a un gars qui est allé plus vite que moi, et lui, il n’en revenait juste pas d’avoir réussi à me dépasser (rires)… Il disait à tout le monde : “Hey, je suis plus rapide que Bruny Surin!” »

Se dépasser dans tous les domaines

En plus de se faire dépasser de temps à autre sur un vélo stationnaire pour une bonne cause, Bruny Surin consacre aussi beaucoup de temps à redonner aux autres, souvent aux plus démunis. Avec la Fondation Bruny Surin, créée en 1999, il a aidé des dizaines de jeunes dans le besoin à pratiquer le sport de leur choix.

Toujours en forme, Bruny Surin

Cette fondation remet plus de 20 000 $ chaque année en bourses sport-études à des étudiants-athlètes. « On organise des compétitions, souvent pour le groupe d’âge des 6 à 12 ans, explique-t-il. On le fait depuis des années. J’aime aider les jeunes et montrer qu’il n’y a rien d’impossible », ajoute-t-il.

Rien d’impossible? C’est bien vrai. Après tout, ce fils d’immigrants haïtiens, arrivé au Québec à l’âge de sept ans, aura réussi à atteindre le zénith à force de persévérer, bien sûr, mais aussi à force de rêver. Il a déjà tenté de jouer au football américain, avec la défunte Machine de Montréal au début des années 1990 (« ça ne payait pas assez bien pour aller se faire frapper sur un terrain! », se rappelle-t-il). Il a même collaboré avec le géant Nike pour la création de sa propre chaussure de sport, ce qui a mené aussi à la création de sa propre marque, la Collection Surin, une ligne de vêtements de sport.

Tout ça est né de ce désir de rêver mieux. De ce désir de se dépasser, constamment, un désir qui est sans doute né chez lui l’instant où son regard s’est posé sur un autre sprinter, l’Américain Carl Lewis, qu’il a vu dominer toute compétition à la télé lors des Jeux de Los Angeles, en 1984. Par un heureux hasard de la vie, il réussira à dépasser la meilleure marque de ce même Lewis en arrivant deuxième lors des Championnats du monde d’athlétisme à Séville en 1999, avec un chrono de 9,84 secondes.

Sprinter un jour, sprinter toujours

En terminant, après tout ça, on lui demande si on a oublié quelque chose? Homme d’affaires, philanthrope, conférencier, motivateur, analyste… et quoi d’autre, si c’est possible? « Ah oui, il y a aussi l’immobilier… j’ai commencé à investir là-dedans! Ça va super bien et c’est pour moi un autre défi en entrepreneuriat! »

Alors voilà. Il nous confierait qu’il songe à bâtir sa propre fusée pour aller dans l’espace qu’on ne serait pas surpris.

Mais ça, c’est Bruny Surin : toujours occupé à courir. C’est juste que maintenant, il le fait en tenue de ville.